Pour ce 3ème article de « ma vision actuelle du coaching », je voudrais mettre l’accent sur le support des sciences pour optimiser les performances.

Je parle ici de sciences au sens large du terme (pas que les sciences exactes…), on parle alors de physiologie (fonctionnement du corps, et notamment à l’effort), de biomécanique, de sociologie, de psychologie, etc…

Je me souviens une bonne dizaine d’années en arrière en amphi de STAPS me questionner sur certains contenus de cours proposés à l’époque étant donné que faire le lien avec le terrain n’apparaissait pas toujours comme une évidence, et pourtant, c’est cet éveil qui m’aura permis (et me permet toujours) de mettre en application au mieux sur le terrain.

Coacher, c’est également beaucoup d’empirique et d’observations de terrain, de très bons entraineurs d’ailleurs n’ont pas de bagage théorique solide, et pourtant ça fonctionne…

Mon point de vue là-dessus est assez simple : Je pense que dans les années à venir l’apport des sciences autour de la performance  va aller en grandissant, et c’est un plus loin d’être négligeable lorsque l’on travaille avec de l’humain… Les sciences ne sont pas là pour supprimer l’empirisme et l’expérience de terrain, c’est un complément.

 

Pour cet article, vous aurez une vision supplémentaire, celle d’un physiologiste (spécialisé autour du Système nerveux central) depuis une dizaine d’année, qui est également passé par le terrain (et y revient gentiment ;) ) : Hugo Kerhervé (merci pour la contribution !)

 

1.       Les sciences et le terrain

Hugo, autour de nos longues et passionnantes discussions m’a dit un jour : « entre le terrain et la recherche, il y a une vingtaine d’années de retard pour que des concepts soient adoptés par la majorité», est ce que tu peux nous en dire plus là-dessus ?

Hugo : La recherche scientifique a pour ambition de résister à l’épreuve du temps, et a donc des procédures de validation, réplication, légitimation des découvertes qui prennent elles-mêmes du temps. Le coaching ne développe pas autant cet idéal de vérité globale, et les contraintes temporelles sont plus réduites. Cependant pour durer comme coach il faut quand même une exigence et baser ses réflexions sur des preuves tangibles. Un récent modèle propose par un grand chercheur, Aaron coûtts, a traduit exactement cela.

modele coutts

Le modèle de coûtts (http://dx.doi.org/10.1123/IJSPP.2015-0781)

Dans une époque ou le partage de l’information est très rapide et où il y a une course au scoop dans tous les métiers, on se rend compte qu’il est parfois difficile de différencier les informations par degré de pertinence. Donc ce qui dure, c’est soit 1) de l’éprouvé, quelque chose qui marche, soit 2) une espèce de lobby.

Tu prenais l’exemple du « tout physio ». Là, c’est un lobby scientifique qui a la peau dure. En fait on se rend compte que la science fait ce qu’elle peut et donc regarde ou elle peut. La naissance de la physiologie comme discipline avec Lavoisier, et le passage à l’âge adulte de la physiologie avec le prix Nobel de Hill, ont été réalisés grâce à la mise a jour des liens entre consommation d’oxygène, production de dioxyde de carbone, production de chaleur et production de lactates, lors de l’exercice.

Aujourd’hui on sait que c’est important d’améliorer sa consommation d’oxygène, mais on sait aussi que la VO2max est largement déterminée génétiquement (on a peu de marge de manœuvre, pour faire court il faut bien choisir ses parents !), et le lien avec la performance sportive est général. J’explique le coté général : quelqu’un avec 20 mL/min/kg de VO2max va aller moins vite qu’une autre personne avec 60 mL/min/kg. Mais 2 personnes avec la même VO2max ne vont pas forcement avoir une performance égale dans un sport aérobie. La différence étant technique, neuromusculaire, biomécanique, motivationnelle,… On sait améliorer tout cela dans des marges supérieures à celles de l’augmentation de la VO2max. Et les meilleurs coachs ont compris cela intuitivement.

Au bout du compte on commence à combler notre retard pour savoir identifier et développer les facteurs de performance (savoir pourquoi un athlète va vite) d’un point de vue scientifique. Mais nous avons aussi commencé à donner aux coachs des moyens d’identifier des facteurs limitants (savoir pourquoi cet athlète ne développe pas son plein potentiel).

 

 

 

2.       Les coachs et les chercheurs

Dans cette démarche, se mettre à jour est indispensable.

Alors comment ?

Se mettre à jour, ça n’est pas taper 3 mots clefs sur google scholar et sortir une vérité d’une étude isolée, et si chercheur n’est pas votre job ça sera très compliqué et faire une propre revue de littérature sur le sujet qui vous intéresse….

Si vous êtes de grands passionnés et que vous avez du temps devant vous, aller analyser des papiers contenant toutes les informations primaires peut être très intéressant et enrichissant, à condition de pouvoir tout prendre en compte (quel groupe testé, quel protocole, quel moyenne avec quel écarts type, mais aussi les discussions et auto-critiques du chercheur, ou encore le « sponsor » de l’étude s’il y en a…), et ne surtout pas prendre simplement un abstract isolé pour en tirer des conclusions universelles

Je ne saurais que trop vous conseiller également d’aller faire un tour (et vous abonner) sur le FB de Yann Le Meur, que je ne connais pas personnellement mais dont j’admire beaucoup le travail, j’aime bien également sa vision lorsqu’il parle de la relation chercheur/ entraineur.

Les études ne sont pas là pour être appliquées à tout le monde, mais bien pour donner de nouveaux outils (ou remettre au goût du jour d’autres) Parce que progresser dans son job de coach, c’est aussi étendre sa palette d’outils. Tester un nouvel outil c’est quoi ?

Intégrer un nouveau protocole d’entrainement pour un athlète dont on pense (j’insiste sur l’empirisme !) qu’il sera bon répondeur, et analyser ensuite objectivement (par les chiffres, mais pas que… la perception de l’athlète notamment tient une importance primordiale) si l’on pense que c’était une bonne option ou non. Cela reste très complexe et incertain vu tout ce qui peut impacter une performance (extrasportif), mais qui ne tente rien n’a rien ;)

Globalement mon point de vue sur l’évolution de son métier de coach est le suivant :

Partir du « classique » à ses débuts, les maîtriser du bout des doigts, comprendre le pourquoi du comment (ne pas sauter le premier chapitre des bouquins d’entrainement…), et au fur et à mesure des années, agrandir sa palette, et pour ma part depuis 2/3 saisons, tester de la nouveauté, mais toujours en sachant pourquoi on propose ça, à qui comment et quand… (L’intégrité physique des athlètes en dépend…)

Côté chercheur, Hugo est une sacré référence depuis mes débuts, étant dans le milieu !

Hugo est ce que tu peux nous en dire un peu plus sur notre relation de coach/ chercheur depuis toutes ces années ? Egalement quels sont les apports de tels échanges pour ton travail et ton évolution ?

Hugo : Déjà, je viens du terrain, je suis d’abord coach et éducateur, et ensuite chercheur. Dans ce sens, chercheur est ce que je fais, mais c’est plus un titre, ou la somme de toutes les actions que je fais dans mes journées, qui déterminent cela. Toi aussi Jo tu as une démarche de chercheur, depuis toujours en fait. Je pense que cela a eu un impact non négligeable sur nos choix de vie, de carrière, et notre amitié. Au final, je crois que ce sont les mêmes dynamiques qui font avancer les gens dans nos deux métiers : il y a un côté challenge (à la fois apprentissage et voyage dans l’inconnu) mais aussi un côté représentatif (voire politique) pour diffuser nos actions. Il faut bien sur un peu des deux, mais il est également facile de s’arrêter en cours de route dans le développement, et de pencher trop d’un côté.

Je pense que notre relation nous offre cela : balancer, avec des points de vue compatibles mais pas confondus, les réflexions technico-philosophiques qui nous font progresser d’abord comme personnes, et ensuite comme professionnels. De plus, la relation de confiance que nous avons se passe de compétition, et en cela nous allons droit au but quand nous échangeons. Dans le modèle de coûtts, tu me permets de réduire la distance entre ce que je fais professionnellement (de la recherche), et l’utilisateur final du savoir crée (l’athlète). Et je pense que je te permets toi aussi de réduire une autre distance, celle entre le feeling et le savoir. Dit autrement, connaître les mécanismes et structures responsables de la fatigue, mais être capable d’améliorer la résistance à la fatigue par une ingénierie de l’entrainement, ça donne du sens. Et là-dessus je te rejoins complètement, il faut connaître ses classiques en matière d’entrainement !

Une des choses les plus précieuses que notre relation m’apporte, c’est l’écoûte et le besoin d’humilité. Il est facile et dangereux de devenir professoral dans ce que je fais, de déverser ses vérités, voire d’utiliser le savoir comme argument d’autorité. Apprendre à qui je m’adresse, devoir adapter mon point de vue et la manière de diffuser un savoir, cela donne une valeur encore plus grande à ce que je fais et à qui je suis. En fait on parle le même langage toi et moi.

 

3.       Comprendre la performance, facteurs de performances en triathlon LD

 

Comprendre la performance, c’est partir de l’observation de terrain : quels spécificités (et il y en a beaucoup…) pour notre sport en compétition pour en dégager ensuite des facteurs de performances. Encore une fois les sciences nous aident beaucoup actuellement là-dessus. Sur le versant purement énergétique en sport d’endurance, actuellement dans la recherche, les facteurs sont classés en 3 catégories : la VO2max , l’endurance à VO2 (à un % de VO2max donnée), et le coût énergétique. La recherche de l’amélioration du coût énergétique à l’entrainement est très importante (et les méthodes ne manquent pas : des plus classiques au plus « fantaisistes »). Mais cette fragmentation n’est pas là pour compartimenter, une entrainement aura des bénéfices plus ou moins important sur les 3 facteurs, donc vraiment l’important est de garder un point de vue global et d’organiser des priorités selon chaque athlètes et ses caractéristiques à une période donnée.

Comme le soulignait Hugo tout à l’heure, la VO2max est loin d’être l’unique facteur déterminant la performance en triathlon. Pour le longue distance, mon point de vue est que c’est avant tout un sport de force (d’endurance de force), pas un hasard si la plupart des gars du top 15 à hawaii depuis des années pèsent entre 70 et 75kilos (et très souvent entre 1m80 et 1m85), suffisamment de masse musculaire pour une bonne force et une bonne résistance à la « casse », et malgré tout un bon rapport poids puissance pour courir vite derrière. Et dans ce cadre la recherche de l’amélioration du coût énergétique n’est surtout pas à négliger

 

Suite à une performance (ou une contre-performance), un débriefing ne devrait pas être  mon sens : « c’était un mauvais jour… ça ira mieux la prochaine fois », ou « cool, c’était un bon jour ! »

Mais bien de déterminer précisément ce qui selon l’athlète et le coach a fonctionné/ moins bien fonctionné (connaître ses limites également dans l’analyse, on n’improvise pas des debriefing très complet et regroupant un maximum de facteurs de performance en 1 an de coaching…). Evoluer dans une relation coach/athlète au fur et à mesure des années est primordial pour continuer de progresser, la routine étant l’ennemi du progrès à long terme.

La science de l’entrainement, c’est d’essayer de maitriser un maximum de variables (pas que physio) pour limiter au maximum les risques de contreperformance sur des courses objectifs.  La science permet donc d’expliquer (ou de tenter d’expliquer) les performances

 

Dans un autre registre, l’autre jour je disais à Hugo : « tu veux un futur grand du triathlon longue distance, alors tu prends le premier français de plus de 70 kilos e de plus de 1m80 des championnats de France de cross, qui a eu une petite formation de nageur dans sa jeunesse, et qui aime le triathlon longue distance… et tu me donnes 5 ans »

Hugo est ce que tu peux nous étayer là-dessus

Hugo : C’est un exemple parfait de ce que je disais avant sur notre langage commun. Le premier paradigme que tu utilises est bien sur énergétique, c’est notre VO2max (et la fraction de VO2max utilisable = le seuil) qui nous permet de définir le niveau général de l’athlète : courir avec une masse musculaire additionnelle requiert plus d’énergie à vitesse donnée. Donc l’athlète « lourd » va avoir un taux de dépense énergétique supérieur.

Mais être capable de bouger 70 kilos a haut niveau à pied suggère bien plus que cela : cela requiert une puissance et coordination musculaire importantes (indispensable à vélo), et une efficacité de mouvement importante (convertir un bonne partie de son énergie métabolique en énergie mécanique utile, pour ne pas exploser de chaleur) donc un coût énergétique faible (intéressant sur des efforts prolongés). Et bien sûr cela te renseigne sur l’entrainabilité d’un tel athlète, qui peut réussir dans un sport ou son rapport poids-puissance sera mieux utilisé.

 

4.       Le versant biomécanique

Hugo : Tout comme la physiologie est une discipline très large couvrant l’étude des mécanismes micro- et macroscopiques impliques dans la vie biologique, la biomécanique est également un terme « parapluie » car elle comprend des approches très variées comme l’anatomie fonctionnelle (origine et insertion des muscles par exemple), l’analyse fonctionnelle du mouvement (comment les segments ou articulations se comportent lors du mouvement, par exemple lors de la marche), l’analyse énergétique des mouvements (par exemple sur les notions d’efficacité), ou la modélisation des contraintes ostéo-articulaires par dynamique inverse, ou par éléments finis (des approches purement mécaniques appliquées à des systèmes biologiques).

Ce qui est important de retenir dans ces approches, c’est qu’elles répondent à une question précise sur le plan anatomique en statique ou en mouvement, sur le plan énergétique (quelle est la puissance utile au mouvement ?) ou sur les contraintes mécaniques (vibrations, chocs, voire résistance à la rupture). A partir de là, il est facile de voir les liens possible de la biomécanique avec d’autres domaines, comme la physiologie, l’apprentissage moteur, et bien sur le coaching.

La biomécanique permet notamment d’établir de grandes règles de « technique » dans le mouvement sportif. C’est par exemple la notion d’axe en natation, les bases générales du positionnement en vélo. Par contre les aspects scientifiques ne permettent de se prononcer que sur des aspects génériques de la performance, avec une résolution d’environ 10-20% (à la louche) sur le gain de perf.

Lorsque le gain de perf est plus sensible (2-5%), on s’éloigne de la résolution possible par une approche biomécanique, même si ce n’est pas impossible. On arrive à des « écoles » de pensée qui peuvent tout à fait avoir une approche rationnelle, mais ayant une filiation plus ou moins directe avec des théories biomeca connues. On peut prendre comme exemple de ce niveau de pensée les différentes études posturales sur vélo. C’est aussi le domaine occupe par les plateaux ovoïdes, dont on sait que la forme pourrait optimiser le pédalage, mais que la mesure de dissipation d’énergie par variation de la longueur de chaine rend difficile a établir.

Et si on zoome sur les gains de l’ordre du pourcent, là on est carrément dans l’intuition du coach, mais qui peut se transformer rapidement en gouroutisation aux effets inutiles (les aimants de Christine Aaron, les hordes de nageurs se mettant à nager comme Janet Evans en envoyant des gerbes d’eau vers l’arrière). Globalement on se rend compte que l’athlète a souvent mis en place lui-même des solutions optimales pour réaliser un mouvement donné : nous sommes les experts de notre motricité. Pour prendre des exemples connus (les pros servent surtout à cela), cela m’évoque le retour aérien ou le mouvement de jambes de Michael Klim en crawl (que son coach Touretski a su utiliser et ne pas dénaturer), ou le drôle de mouvement de bras de Ryan Hall qui lui a permis de courir sub 2h05 sur marathon (mais que son coach avait essayé de modifier, qui l’avait fait ralentir pendant quelques années).

Le travail du coach est souvent d’évaluer à quel niveau se situe une consigne donnée à un athlète, et il est parfois difficile de le savoir à l’avance. Lorsque plusieurs observables sont disponibles pour catégoriser le déficit biomeca (par exemple la présence ou non d’équilibre autour de l’axe lors du crawl), alors ce choix est évident. Parfois, comme pour la capacité aérobie en physio (le « tout » VO2max), nous avons aussi des « lobbys » de pensée en biomeca : la cadence optimale à pied n’est pas de 180, et la pose idéale de pied n’est pas forefoot. Et enfin, le coach peut parfois vouloir explorer car les observables ou les preuves scientifiques ne sont pas là. Et là, c’est de l’intuition.

 

5.       Toutes les sciences…

On a beaucoup parlé physiologie, mais comme je l’avais annoncé dans mon article précédent, les leviers pour faire progresser un athlète ne sont pas uniquement basés sur cette science.

Pour ma part, la physiologie (et l’expérience grandissant d’année en année) a dicté mes programmes d’entrainements jusqu’à encore il y a peu de temps, et continue de le faire pour des nouveaux athlètes lorsque l’on attaque une collaboration,, mais les années et les relations évoluant, les leviers de progressions apparaissent aussi ailleurs. On parle alors de psychologie (connaître son athlète, ses motivations, … et adapter les contenus aussi à ses envies, tout ça se faisant dans le temps) de sociologie (cf mon article précédent), de diététique  (un domaine à part entière qui regroupe également plusieurs sciences lorsque l’on creuse)

Et enfin, à l’heure des capteurs de puissances, pas besoin de prêcher longtemps pour faire comprendre l’importance de l’aérodynamisme pour la partie cycliste et les sciences associées (mécanique, bioméca, physique appliquée, …)

 

 

Pour la faire courte, si vous êtes arrivés jusqu’ici, la remise en question nécessaire au métier d’entraineur (mais aussi de l’athlète) va trouver de nombreuses (tentatives de) réponses par l’apport des sciences. Mais les sciences ne sont pas là pour supprimer le feeling de terrain, le ressenti, ou encore les envies des athlètes, c’est avant tout un excellent complément dans la quête de performances...